Actualité

Point(s) de repère

« Absolument dé-bor-dé(e) ». Voici la réponse que nous entendons le plus souvent lorsque nous demandons aux autres comment ils vont. Les demandes de rendez-vous affluent, les titres des journaux déterminent les contingences de la vie quotidienne, nous remuons ciel et terre pour respecter l’échéance d’un Doodle et l'organisation de l’agenda est une activité permanente. Vitesse et réactivité semblent être le credo. Le calme et l’apaisement du premier confinement appartiennent définitivement au passé, et nous avons toujours plus l’impression de subir, plutôt que de vivre.

Nous sommes donc présents, ici et là. Mais réellement présents ? Avons-nous encore suffisamment de contacts proches et véritables les uns avec les autres ? Avec nous-mêmes ? La publicité, la consommation et les progrès technologiques nous font oublier qu'en tant qu'êtres humains, nous ne sommes jamais seuls. Nous sommes des êtres de symboles, incapables de vivre sans lien. Nous sommes nous-mêmes grâce à l'autre. Levinas a rédigé de magnifiques ouvrages à ce sujet, qui sont aujourd'hui plus que jamais d'actualité. Nous vivons dans des familles, des groupes ou des communautés, et nous faisons partie d'un tout plus grand. En nous préoccupant – parfois par nécessité – principalement de notre propre personne, nous nous privons du besoin qu’a l’homme de relations et de structure. À court terme, une session de yoga individuelle ou une retraite peuvent être salvatrices. Mais pour construire une société et la maintenir en mouvement, il nous faut obligatoirement agir ensemble.

En plus d'être des êtres sociaux et de symboles, nous sommes aussi des êtres rituels. Nous créons du lien, notamment grâce à des habitudes, des structures, des traditions et des rituels. Je crois que les rituels ne sont pas simplement des éléments du passé, mais plus que jamais des fondements qui peuvent donner du sens à notre présent. Herman De Dijn les a décrits comme des rêves d’envoutement. Même dans une société séculaire, nous recherchons l'envoûtement, le sens. Il suffit de penser à l'importance et au caractère évident des rituels lors d'une naissance, d'un décès, d'un mariage, d'un anniversaire ou d'un départ à la retraite. Les rituels sont partout, y compris dans les médias modernes. On les retrouve dans des projets comme « Last Days » ou « Birth Day » de la photographe Lieve Blancquaert, ou « Dagen zonder broer », sur le deuil, avec Jeroen Meus. Ces histoires nous touchent au plus profond de nous-mêmes et évoquent notre manière de traverser les moments les plus forts.

Dans mon quotidien, plus mouvementé que jamais depuis que j’occupe la fonction de ministre, je tente délibérément de chercher des temps d’arrêt et d'y intégrer la réflexion. De chercher du lien et des moments de sérénité. Aujourd'hui encore plus qu'avant. Se rendre ensemble à une célébration et être en contact les uns avec les autres, en toute quiétude, avec Dieu ou avec ce qui nous apporte du sens. Et sentir que nous ne sommes pas seuls. Ce n'est pas sans raison que l'idée de privation ou d'abstention temporaire occupe d’autres domaines que le domaine religieux. Il suffit de penser à la Tournée Minérale ou à la Journée sans viande. Chaque année, nous manifestons notre solidarité pendant la Warmste Week, une action de Studio Brussel visant à faire de la semaine de Noël, la semaine la plus chaleureuse de l'année. Nous tenons compte des collègues qui font le ramadan. Ces moments de rattachement, nous devons les chérir. Ils reviennent inlassablement, chaque année, sans besoin de Doodle. Et le groupe de participants s'agrandit.

Mais le moment par excellence pour moi est le carême précédant Pâques. Cette période de préparation combine les aspects symboliques, sociaux et rituels. Elle me permet de marquer un temps d’arrêt, parfois de régler des affaires, et puis de passer à autre chose. Pour moi, le carême signifie faire le point sur ce que nous avons, remettre en question les évidences et réfléchir à ce qui compte vraiment. Prendre soin les uns des autres et de nous-mêmes, tant sur le plan mental que physique. Le fait que nos parents et grands-parents observaient également le carême, et que les générations qui nous succèdent le feront peut-être aussi, donne une structure, un point de repère, qui fait de nous le trait d’union entre le passé et l’avenir.

Dirk De Wachter a dit : « Consacrer sa vie à rechercher le bonheur est une erreur. Lui trouver un sens, en revanche, tel est l'essentiel ». Prendre le temps de réfléchir aux petits et grands bonheurs, au monde qui vous entoure, à ce qui vous rend reconnaissant, ... Le carême est un moment idéal pour s’engager dans cette réflexion. Que votre interprétation du carême soit religieuse ou purement personnelle (moins de temps d'écran, moins d'alcool ou autre), je souhaite à toutes et tous beaucoup de lien et de réflexion.